Entrevue avec Julien LeBlanc, pianiste de concert classique

Par Marcelle Paulin pour le site Web de la Communauté rurale de Cocagne

Le 3 octobre 2015

Julien_LeBlance_Headshots_058Julien LeBlanc est natif de Cocagne. J’ai la chance de rencontrer Julien alors qu’il est de passage chez nous pour quelques jours, en vacances chez sa famille.  Il a aussi des engagements professionnels à Halifax, à Moncton et à l’Île-du-Prince-Édouard. Bien qu’il vive maintenant à Montréal, Julien revient régulièrement dans notre coin de pays.

MP : « Le petit Julien, il était comment? »

JL : « J’étais très attiré par la musique et je savais que je ne voulais pas faire comme tout le monde, je voulais me démarquer. Très jeune, avant l’âge de 4 ans, j’avais entendu les 4 saisons de Vivaldi et ça m’avait beaucoup impressionné. Mes parents ne sont pas musiciens mais j’ai deux tantes du côté de mon père qui jouaient et jouent encore de la musique classique au piano. Il y avait un piano chez mon grand-père. Une de mes tantes avait appris à l’oreille, l’autre avait suivi des cours de piano. »

MP : « En général, pour devenir pianiste, il faut commencer très tôt à suivre des cours. »

JL : « Ça n’a pas été mon cas. Vers l’âge de 9 ans, j’ai vu la pièce de théâtre Harold et Maude avec Viola Léger et Roy Dupuis. Ça m’a donné le goût de la scène. Peu après, j’ai vu le film Amadeus sur la vie de Mozart, ce film a fait une grande impression sur moi. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de suivre des cours de piano. Le mois de septembre suivant, j’avais à peu près 9 ans et demi, j’ai commencé à suivre des cours avec Madame Léontine LeBlanc. J’étais déjà un peu âgé mais j’étais tellement intéressé et motivé que je me suis vite rattrapé.

J’ai suivi des cours pendant un an à Cocagne avec Madame Léontine LeBlanc et ensuite pendant huit ans, avec les religieuses de Notre-Dame. J’avais aussi un bon prof de musique à l’école, Madame Christine Richard.

Je n’ai pas vraiment aimé l’école secondaire peut-être parce que j’étais un peu différent des jeunes de mon âge à cause de mes aspirations artistiques. Par contre, j’avais des bonnes notes et en douzième année, rendu à Noël, j’avais les crédits suffisants pour graduer. Je suis donc allé à l’Université de Moncton pour ce semestre pour me préparer à mon audition d’entrée à l’Université de Montréal. »

Très tôt, on reconnait le talent de Julien. Il reçoit le prix de l’Artiste émergeant de l’année 2002 décerné par la Fondation des Arts du Nouveau-Brunswick.  Il a donné son premier récital officiel à 16 ans. Depuis, il a fait ses débuts au Centre National des arts en 2003, puis par la suite des tournées avec les Jeunesses Musicales du Canada et la Série Début Atlantique.

Julien a acquis une solide formation en musique. Il a ainsi étudié à l’Université de Montréal, au Royal Academy of Music de Londres et au Glenn Gould School de Toronto. Très apprécié du public, il fait aussi l’unanimité auprès des critiques et des gens du milieu artistique.

MP : « Vous faites carrière dans la musique classique. Qu’est-ce que vous appréciez le plus dans cette vie? »

JL : « À cause de la musique, je voyage beaucoup et je rencontre des gens intéressants. J’ai la chance de travailler avec d’autres musiciens et c’est très inspirant. »

MP : « Est-ce qu’il y a des côtés moins agréables? »

JL : « Vivre dans ses valises, être loin de chez soi et manger au resto jour après jour, c’est moins intéressant. Quand je reviens de tournée, j’aime bien prendre mon café chez moi le matin. Parfois je peux être parti jusqu’à 4 ou 5 semaines. »

MP : « Vous avez une anecdote pour nous? J’imagine que tout ne se passe pas toujours comme prévu avant ou pendant les concerts. »

JL : « Il y a souvent des pépins. Lorsqu’on donne un concert dans une salle, il faut jouer avec le piano qui est là. J’ai eu à jouer sur un très vieux piano qui n’était pas en très bon état. L’ivoire des notes cassait sous mes doigts quand je jouais et j’en lançais des bouts dans la salle et sur les autres notes du piano. Heureusement le violoniste qui jouait à côté de moi a eu la bonne idée d’enlever, avec le bout de son archet, les morceaux cassés des notes qui traînaient sur le clavier pour que je puisse interpréter la pièce jusqu’au bout. C’était assez spécial! »

MP : « Vous devez pratiquer le piano tous les jours? Y a-t-il des exercices que vous devez faire pour éviter les blessures et garder la forme? »

JL : « Je dois jouer tous les jours idéalement pendant 4 heures, mais il m’arrive de jouer pendant 10 heures ou de rare fois, juste une heure, dépendamment de mon horaire. Je peux faire des étirements, mais surtout, j’ai appris à respirer pour me détendre. Il y a moins de risques de blessures si je suis détendu. Je fais aussi un peu de course et du gym. Ça n’est pas toujours facile de concilier le gym avec mon horaire surtout quand je suis en tournée»

MP : « Êtes-vous intéressé par d’autres instruments de musique? Est-ce que vous composez? »

JL : « J’ai joué un peu de violon quand j’étais plus jeune mais ce n’étais pas mon instrument.  Je chante pour le plaisir. La composition, ça ne m’attire pas. Il peut m’arriver d’improviser un peu quand j’accompagne un chanteur, mais je préfère vraiment interpréter la musique de grands musiciens.  »

MP : « Est-ce qu’il vous arrive d’assister à des concerts d’autres musiciens? »

JL : « Oui, surtout quand je suis en vacances. J’aime beaucoup assister à des concerts en Europe parce que le marché est plus gros donc il y a plus de concerts à voir. C’est nécessaire pour l’inspiration de voir quelqu’un d’autre jouer, quelqu’un de meilleur que toi pour t’améliorer. »

MP : « Plus près de chez nous, est-ce qu’il y a un artiste que vous aimez? »

JL : « Plusieurs et entre autres, Marie-Jo Thério. Marie-Jo a beaucoup de talent et elle t’amène dans son monde. Elle m’a beaucoup inspiré dans sa façon de communiquer avec le public. J’aime bien aussi le jazz et les chansonniers. Dans ma voiture, j’écoute d’autres styles de musique que la musique classique ou encore rien du tout, j’aime beaucoup le silence parfois. »

MP : « Parlons un peu de l’Été musical de Barachois, vous en êtes le directeur artistique? »

JL : « Depuis 2012, Pierre-André Doucet  et moi sommes co-directeurs artistiques. L’Été musical de Barachois a fêté ses 35 ans d’existence cet été. J’y avais déjà participé comme musicien de concert. Pierre-André et moi avons pris la relève quand Normand Robichaud, qui y faisait un travail extraordinaire,  a décidé de se retirer. Nous occupons ce rôle à titre de bénévoles. C’est énormément de travail mais c’est aussi une grande fierté que d’avoir permis à cette activité de continuer. »

MP : «Quels sont les principaux défis rencontrés lorsqu’on organise un évènement de cette envergure dans une région rurale du Nouveau-Brunswick? »

JL : « Comme dans toute chose, trouver les fonds pour opérer, c’est toujours un défi. Nous avons des donateurs privés et des organismes qui nous aident. On doit aussi s’assurer d’un public. Il faut développer le public parce que la musique classique a été longtemps perçue comme réservée à une certaine classe de gens. Il fallait avoir étudié cette musique pour l’apprécier, ce qui est faux. Heureusement, cette image commence à disparaitre et l’opéra et les concerts avec orchestre symphonique sont en train de devenir cool! On fait des conférences pré-concerts sur différents thèmes. On présente des jeunes musiciens en première partie. »

MP : « Revenons à Julien LeBlanc. Vous donnez des concerts de piano en solo mais vous avez aussi d’autres manières de pratiquer votre art. Vous faites de la musique de chambre. Vous êtes également accompagnateur de chanteurs classiques et professeur et vous allez lancer un album bientôt. »

JL : « Dans le cadre du Festival du monde arabe, à Montréal en novembre, je vais accompagner la soprano Miriam Khalil. C’est très intéressant parce que c’est assez différent de la musique que je fais habituellement. J’aime beaucoup accompagner des chanteurs ou des chanteuses comme la soprano Nathalie Paulin avec qui j’ai travaillé plusieurs fois et qui est devenue une bonne amie maintenant. C’est aussi très agréable de partager la scène avec d’autres instrumentistes. J’aime particulièrement jouer avec des instruments à cordes, il y a beaucoup de répertoire magnifique pour violon et piano par exemple.

L’enseignement, pour moi c’est très enrichissant parce que ça oblige toujours un retour à la base. Il y a du vrai potentiel chez les jeunes que je côtoie mais aussi beaucoup d’impatience. Ils doivent apprendre que c’est avec la pratique et le travail qu’on progresse.

Cet hiver, je vais sortir un album solo de musique française. J’y interprète des pièces de Francis Poulenc (1899-1963), d’Henri Dutilleux (1916-2013) et de César Frank (1822-1890). »

MP : « Dans votre vie de musicien, il y a la musique et le talent mais aussi beaucoup de travail. »

JL : « C’est un milieu très compétitif et pour vivre de son art, il faut savoir créer des opportunités. Si c’est vraiment ce qu’on veut faire dans la vie, on va y arriver mais pour 5% de talent, il faut 75% de travail et 20% de capacité à se vendre. »

MP : « Vous avez déjà accompli beaucoup de choses. Est-ce qu’il y a un rêve, plus grand que les autres,  que vous aimeriez réaliser? »

JL : «C’est le rêve de tous les pianistes de jouer avec un grand orchestre symphonique à Carnegie Hall à New York, ou à Londres ou à Vienne. Jouer dans une salle où les plus grands ont joué. »

Je vous remercie énormément Julien LeBlanc d’avoir passé une partie de votre samedi après-midi avec moi. J’ai beaucoup aimé notre rencontre. J’espère un jour vous entendre jouer à Cocagne, peut-être en 2017, dans le cadre du 250e anniversaire de notre communauté… L’idée est lancée!  Merci!

NB. : Le nouveau disque solo de Julien LeBlanc est maintenant disponible sur iTunes, Google Play et Cdbaby. On peut visualiser un clip publicitaire à https://www.youtube.com/watch?v=73bAGTJ4qpg